
En 1962, Orson Welles tourne « Le Procès », d’après le livre de Franz Kafka, dans la gare désaffectée d’Orsay à Paris, avant qu’elle ne devienne un musée. Il utilise le vaste espace principalement pour filmer le lieu de travail de l’employé Joseph K (Anthony Perkins).

Un immense open space avec 10 000 bureaux et 10 000 machines à écrire Olivetti identiques.

Un lieu qui souligne – comme les autres décors du film – l’oppression d’un état totalitaire où le moindre écart à la norme peut s’avérer fatal.

Orson Welles avait des idées très précises concernant les décors (ci-dessus, un de ces dessins pour « Le Procès »). Toujours débrouillard malgré un budget très limité, il arrive avec l’aide de son chef décorateur, Jean Mandaroux, à créer des espaces exceptionnels.

Lors de son enquête à ”Alphaville” l’imbattable agent secret Lemmy Caution (joué par l’irréprochable Eddie Constantine) doit également faire face a une architecture froide et inhumaine.

Ce film de science-fiction, tourné en décors réels dans le quartier moderne et tout juste terminé de la Défense à Paris, juxtapose uniformité et trame répétitive des immeubles de bureaux où chaque poste de travail se ressemble et se répète – exactement comme chez Vidor et Wilder.

Au détour d’un travelling qui suit l’agent Lemmy Caution, Godard balaye de sa caméra les employés d’un open space plutôt ennuyés, voire apathiques.

Pas de décor de cinéma ici (comme c’était le cas dans les exemples précédents) mais la réalité d’un immeuble lambda de la Défense à Paris en 1965. On note toutefois la recherche esthétique apportée, à la fois par la courbe du plafond et par le choix du mobilier.

Jacques Tati, grand admirateur et critique de la modernité, se paie le luxe de construire « Tativille » en 1968, un décor immense à la taille d’un quartier entier pour les besoins de son « Playtime », qui montre avec ironie les dérives de la modernité avec un sens esthétique époustouflant.

Toujours en avance sur son temps, Tati pense les espaces jusqu’au bout en prévoyant le cloisonnement partiel de l’open space, sur lequel tombe Monsieur Hulot éberlué (Jacques Tati).

Cette déclinaison aussi rigoureuse qu’absurde et poétique va trouver son équivalent bien plus terre-à-terre et triste dans de nombreux bureaux paysager à venir – dans la réalité, comme dans le cinéma.
(à suivre)
THE TRIAL (Le Procès) 1962 Orson Welles
ALPHAVILLE (Une étrange aventure de Lemmy Caution) 1965 Jean-Luc Godard
PLAYTIME 1968 Jacques Tati