
En 1982, le film « Blade Runner », basé sur la nouvelle de Philip K. Dick « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », revisite le principe de la ville de « Metropolis » (Fritz Lang, 1927).
Si « Metropolis » présente une version grotesque et démesurée de la ville de New York, Scott nous offre une vision semblable mais sombre de Los Angeles en 2019.

Dans « Blade Runner », les tours sont encore plus hautes (900 m), la juxtaposition des bâtiments encore plus dense et le mélange des styles encore plus extravagant. Influencé par le clair-obscur du film noir américain, Scott présente la ville sous une pluie permanente où la lumière naturelle n’atteint pas même le sol.

C’est dans ce film qu’on découvre pour la première fois des publicités géantes et animées, qui font aujourd’hui le bonheur des grandes métropoles.

Seuls les riches dirigeants ont droit au coucher du soleil, à la nature (même si c’est seulement sous la forme d’un petit bonsaï) et à une vie plus que confortable …

… tandis que les rues sont sales, dangereuses et chaotiques.

Pour mettre en valeur la hauteur des immeubles, le réalisateur Ridley Scott plonge Deckard, son héros (Harrison Ford), dans des situations inconfortables qui soulignent la profondeur du champ et les lignes de fuites.

Le principe de la ville à plusieurs niveaux, avec des lignes de trafic superposées, devient alors un élément essentiel des villes dystopiques à venir, et souvent on y chute – comme ici Milla Jovovich dans le « Cinquième Element » de Luc Besson (1997).
En 1949, vingt-deux ans après « Métropolis » et trente-trois ans avant « Blade Runner », George Orwell a publié son célèbre roman « 1984 », devenu la référence du roman d’anticipation et de la dystopie. Il propose une autre vision de la ville futuriste, qu’on peut découvrir dans les trois versions cinématographiques du livre (tournées respectivement en 1954, 1956 et 1984) :



La ville y est décrite à moitié en ruines, détruite par des guerres sans fin, et dominée par des bâtiments immenses à la géométrie claire qui souligne les systèmes totalitaires en place.
On retrouve la ville futuriste comme cauchemar oppressant et désolant dans « Soleil Vert » (1973), « Total Recall » (1990 et la version de 2012), « L’armée des douze singes » (1995) et « Brazil » (1985), pour ne nommer que les films les plus connus.

Un des exemples les plus audacieux visuellement, est la ville de « Dark City » (Alex Proyas, 1998 – ci-dessus), qui se régénère chaque nuit pour changer de forme, sans que les habitants ne s’en rendent compte. Ou encore celle de la trilogie « Matrix » (1999 à 2003), qui n’est qu’une illusion modulée par des extraterrestres.

Adaptée des Mangas à succès, le Japon propose une autre vision, non moins apocalyptique mais très colorée, avec un graphisme agressif et dynamique, qui illustre des films d’animation comme «Akira » (Katsuhiro Otomo, 1988 – ci-dessus) et « Ghost in the Shell » (Mamoru Oshii, 1995). Ces visions de mégapoles toujours plus vertigineuses dans des couleurs décapantes sont vite récupérées …

… dans les années 2000 par des superproductions réelles (non animées) comme « A. I. » (Steven Spielberg, 2001), « 2046 » (Wong Kar-Wai, 2004 – ci-dessus), et la version américaine de « Ghost in the Shell » (Rupert Sanders, 2017).

En 2008, « Speed Racer » des frères (aujourd’hui sœurs) Wachowski utilise le principe d’une ville sous amphétamines et hallucinogènes jusqu’à l’outrance, soutenu par des couleurs agressives, …

… qui ne sont finalement pas si éloignées de la ville bien réelle, quoique aussi très artificielle de Dubaï. Une dystopie du futur devenue réalité.

On note également un déplacement géographique : New York ou Los Angeles ne sont plus la référence par excellence pour créer les cités futuristes. Comme on peut le voir avec ce « Néo-Seoul » de 2144 dans « Cloud Atlas » des mêmes frères / sœurs Wachowski, où un scénario navrant s’acharne à mettre nos protagonistes en porte-à faux pour valoriser (ici aussi) la hauteur vertigineuse des constructions.

Ce film tiroir juxtapose plusieurs histoires et époques dans un montage parallèle, où l’humanité est finalement condamnée à un retour vers une civilisation primitive pour ne pas dire sauvage, suite à la destruction des grandes métropoles.

L’image chaotique de la cité futuriste des années 80-90 devient alors apocalyptique : la terre et ses villes sont dévastées et invivables dans deux films tournés en 2009 : « 2012 » et « The Road », et dans quatre films tournés en 2013 : « Oblivion », « After Earth », « Elysium » (ci-dessus) et « Le Transperceneige ».

Dans « Oblivion », seuls quelques gardiens sont restés sur terre après une guerre qui a détruit la surface du globe, logés dans des postes de surveillance « cinq étoiles » : de superbes et magnifiques villas de rêve, flottant au-dessus des ruines.

Et pourtant, Tom Cruise, le héros, va abandonner cet ensemble parfait, et aussi sa charmante co-équipière Victoria (Andrea Riseborough), …

… pour vivre dans une cabane en bois avec la non moins charmante Olga Kurylenko !
Comme si la seule possibilité pour échapper à la dystopie était le retour à la nature, à la simplicité et à la cabane primitive… avec énergie solaire et équipée d’un tourne-disque 33 tours. Détails à ne pas négliger tout de même.

Un rêve déjà célébré par Vitruve comme l’essence d’une architecture idéale.
Serait-ce donc cela, l’utopie ?
BLADE RUNNER 1982 Ridley Scott
LE CINQUIEME ELEMENT 1997 Luc Besson
NINETEEN EIGHTY-FOUR (1984) 1954 Rudolph Cartier
NINETEEN EIGHTY-FOUR (1984) 1956 Michael Anderson
NINETEEN EIGHTY-FOUR (1984) 1984 Michael Radford
DARK CITY 1998 Alex Proyas
AKIRA 1988 Katsuhiro Otomo
2046 2004 Wong-Kar Wai
SPEEDRACER 2008 Les Wachowski
CLOUD ATLAS 2012 Les Wachowski
ELYSIUM 2013 Neill Blomkamp
OBLIVION 2013 Joseph Kosinski