La folie James Bond est à son apogée, quand l’équipe du réalisateur Lewis Gilbert se rend au Japon en juillet 1966, pour tourner la cinquième aventure de l’espion le plus célèbre du monde.

« On ne vit que deux fois » est le premier film de la série qui s’inspire très librement du roman original de Ian Fleming. Les producteurs Saltzmann et Broccoli appliquent désormais une formule bien rodée : lieux exotiques, scènes d’action spectaculaires, jolies filles, gadgets à gogo, prise de science-fiction, charisme et répliques pince-sans-rire de Sean Connery et décors époustouflants créés par Ken Adam.
007 est devenu une marque, déclinée en gamme de vêtements, jouets et BD.

Le scénario de « On ne vit que deux fois » est signé Roald Dahl, auteur de livres pour enfants à succès, parmi lesquels « Charlie et la Chocolaterie » et « Matilda ». Il ajoute son humour noir et son goût pour l’absurde, dans un film où on se débarrasse d’un groupe de gangsters qui poursuivent Bond, à l’aide d’un hélicoptère et d’un aimant puissant …

… pour les jeter ensuite à la mer, après avoir survolé la fameuse tour de Tokyo en acier rouge et blanc, moins célèbre mais un peu plus haute que de celle de M. Eiffel. Elle a été construite en 1958 par l’architecte Tachu Naito et plusieurs fois détruite dans des films mettant en scène un certain Godzilla.

La Bondmania rend le tournage dans les rues de Tokyo extrêmement difficile, car Sean Connery provoque partout où il pointe son nez, des attroupements de milliers de fans, qui bloquent à la fois le tournage et le trafic de la ville.

Le film ne montre donc pas grand-chose de la ville, et la plupart des scènes d’extérieur sont tournées la nuit.



Les « establishing shots » se focalisent sur les multiples enseignes lumineuses, qui donnent déjà en 1967, un petit avant-goût de ce que sera le Los Angeles de « Blade Runner » quelques décennies plus tard.


Une course-poursuite en Toyota GT 2000 décapotable permet néanmoins de montrer au passage le stade national de Yoyogi, construit en 1964 par Kenzo Tange, le plus connu alors des architectes japonais.
Ken Adam, le chef décorateur de la série, depuis le premier film « James Bond contre Dr No », crée plusieurs intérieurs tokyoïtes insolites et remarquables.

007 se rend d’abord chez son collègue Dikko Henderson (l’onctueux Charles Gray) pour commencer son enquête. Ken Adam porte à son paroxysme l’intérieur japonais classique (déjà très épuré) – sans doute inspiré par les délires décoratifs vus dans le film de Joseph Losey, « Modesty Blaise ».

Bond rend ensuite deux visites au siège social de l’insondable M. Osato. L’équipe utilise pour les extérieurs l’hôtel « Otani », construit en 1964 par la Taisei Corporation, et le transforme en siège social des Osato Industries, derrière lesquelles se cache la redoutable organisation criminelle SPECTRE.


Au moment du tournage, avec ses 1479 chambres, ses 39 restaurants et son héliport sur le toit, l’hôtel est le bâtiment le plus élevé de Tokyo.

La première visite nocturne et intrusive de 007 culmine dans une bagarre avec les gardiens …

… qui détruit une grande partie du mobilier et du décor.

Comme à son habitude, 007 s’échappe in extremis.
Ken Adam a créé le bureau du directeur et redessine le couloir de l’hôtel pour les accorder au style 007, avec des lampadaires épurés au design industriel et des boiseries claires de type scandinave. Comme toujours, il accorde un soin particulier aux plafonds, mis en valeur ici par une partie centrale métallique réfléchissante et des bandeaux lumineux périphériques.

Son croquis préparatoire pour le bureau du directeur Osato accentue également le plafond et le traitement du sol : un grand carré clair subdivisé en quatre parties contraste avec un rond métallique inscrit au sol, doublé d’une table ronde. Une sculpture, représentant un arbre mort constitue l’unique élément de forme organique.

Dans le décor final, les poutres en bois qui partent du carré du plafond renforcent le dynamisme de l’immense bureau. Le mobilier est sobre et ultramoderne, quelques antiquités et pièces d’art japonaises traditionnelles atténuent l’austérité élégante du lieu. Une grande baie vitrée donne vue sur l’héliport.

La seconde visite, officielle cette fois-ci, est un face-à-face courtois, mais très méfiant entre James Bond et le maître des lieux, M. Osato (Teru Shimada), accompagné de sa charmante mais dangereuse assistante Helga Brandt (Karin Dor).

Bond constate avec son flegme habituel, que les dégâts du combat de la nuit ont complètement disparu. (Les scènes ont été filmées inversement : d’abord la visite de courtoisie, ensuite la bagarre destructrice). L’ambiance générale du lieu, qui est un repère de méchants, est spacieuse, ouverte et lumineuse.
Le bureau du chef des services secrets japonais, Tiger Tanaka (Tetsuro Tanba), partenaire et soutien indispensable pour 007, est au contraire confiné, enfermé et ne laisse pas passer la lumière naturelle.

Pour ce simple bureau d’un haut fonctionnaire des service secret, Ken Adam s’inspire du mouvement métaboliste*, alors en vogue chez les architectes au Japon, qui prône les mégastructures en béton, combinées avec les principes biologiques de la croissance.


Bond y arrive peu confortablement par une trappe et un toboggan métallique, qui l’éjecte à travers un trou dans le mur jusqu’à un siège.

Entièrement conçu en béton, ce bureau souterrain a le charme d’un blockhaus de luxe. Il est connecté à la ville par un réseau de galeries qui permet de rejoindre le métro de Tokyo.

Le dessin du chef décorateur met en avant les deux moniteurs ronds de télésurveillance couverts de cuivre et, à droite, un étrange lampadaire composé d’un empilement de cubes transparents.



Un autre motif récurrent dans la conception des espaces de Ken Adam pour la série des James Bond, et notamment pour « On ne vit que deux fois », est l’utilisation des claustras et stores comme éléments de séparation, afin de renforcer l’impression d’une surveillance permanente.
*Le mouvement métaboliste, initié par le Tange Lab, réunit les recherches urbanistiques et architecturales de Kenzo Tange, Fumihiko Maki, Arata Isozaki, Kisho Kurokawa et autres, commencé à la fin des années 50 et qui culmine dans l’Expo 70 à Osaka au Japon. Les thèmes centraux sont des superstructures, capables de s’étendre à la manière d’un rhizome à l’infini.
Les dessins de Ken Adam sont la propriété de la Deutsche Kinemathek / Ken Adam Archiv
YOU ONLY LIVE TWICE (On ne vit que deux fois) 1967 Lewis Gilbert
Une réflexion sur “Sean Connery à Tokyo”