Qui a construit les grands ensembles ?

Quand Henri Neveux (Jean Gabin, impassible et majestueux) rentre à la maison après la guerre et deux ans de captivité en Allemagne, il ne se retrouve pas seulement veuf, mais aussi responsable d’un nouveau-né, qu’il accepte comme son fils, bien qu’il soit le fruit d’une liaison adultère de sa femme.
Le mélodrame « Rue des Prairies » raconte alors les difficultés de cet homme modeste pour élever seul ses trois enfants devenus ados, dans les années 50.
Plus intéressant encore que l’histoire elle-même, c’est le décor qui est mis en avant :

Entre le logement de la famille et la vie de la très animée et populaire rue des Prairies, située dans les faubourgs du 20ème arrondissement de Paris, …

… et le chantier de Sarcelles, 30 km plus au Nord, où Henri Neveux se rend chaque jour pour contribuer en tant qu’ouvrier à la construction des 4 085 logements des tranches II à IV.

Le premier plan (un travelling) qui révèle le chantier de Sarcelles n’est pas dépourvu de piquant, puisqu’il part d’une beauté qui parfait son bronzage sur le toit-terrasse gravillonné d’un des nouveaux bâtiments, pour tourner lentement vers les constructions encore en chantier.

Le film se garde bien de prendre position pour ou contre ce nouvel urbanisme invasif et cette architecture formatée et préfabriquée.
Mais le contraste entre les scènes du faubourg, notamment celles situées dans le bar, lieu social par excellence – qui possède l’unique téléphone du quartier – où les discussions (et disputes) vont bon train, grâce aux dialogues aiguisés de l’inimitable Michel Audiard …

… et celles du chantier parlent d’elles-mêmes.

Henri Neveux n’a rien d’un vieux grincheux contre le progrès ou le changement. Au contraire, il y contribue volontairement par son travail et va même danser le cha-cha-cha avec sa fille, au bord d’un restaurant-piscine moderne qui a remplacé la ginguette traditionnelle.
Mais il réalise bien que sa bonne volonté est insuffisante pour rester « dans le coup » et que tout ce qu’il aime dans sa ville est en train de disparaître.

Même si ce n’est pas son sujet principal, « Rue des Prairies » montre bien que l’urbanisme des « cités radieuses » n’arrivera pas à reconstituer (ou à remplacer)…

… l’ambiance chaleureuse et familiale des quartiers du faubourg. Le film annonce ainsi en sourdine, l’échec des grands ensembles avant même leur achèvement.
RUE DES PRAIRIES 1959 Denys de la Pattelière
2 réflexions sur “Construire Sarcelles”